«

»

Extraction gaz de schiste – Des risques professionnels et environnementaux évidents

A l’heure où les pétroliers pensent s’aventurer de plus en plus dans l’extraction des huiles et gaz de schiste, l’ATC (Association Toxicologie Chimie) a rédigé une étude extrêmement complète sur les risques toxicologiques liés à ce type d’extraction. Les risques professionnels et environnementaux sont considérables.

Introduction
Comme les réserves de gaz naturel conventionnel (méthane…) décroissent inexorablement l’extraction des huiles et gaz non conventionnels emprisonnés notamment dans du schiste apparaît comme une alternative très séduisante pour plusieurs pays. Les Etats-Unis ont déjà mis en œuvre cette pratique et de ce fait, il est possible de disposer d’un certain retour d’expérience.
L’ATC (Association Toxicologie Chimie) a publié un document intéressant sur la question. Ce document est signé André PICOT avec la collaboration de Joëlle et Pierre DAVID et Jérôme TSAKIRIS.
Voici quelques éléments présentés dans ce rapport (l’essentiel des textes étant ceux du document de l’ATC).

Enjeu économique
Le tableau ci-dessous recense les ressources mondiales de gaz (source : Investors Chronicle, avril 2010).
tableau ressources mondiales de gaz

Problématique du forage
Si les nappes de gaz conventionnels (méthane) sont bien localisées dans des poches le plus souvent hermétiques, par contre les gisements de gaz non conventionnels sont répartis de manière diffuse dans différentes couches géologiques situées souvent à une profondeur assez importante pouvant aller jusqu’à 4000 m.

Classiquement, deux techniques de forage sont utilisées :
Le forage vertical, réalisé depuis la surface du sol.
Le forage horizontal, à partir d’un puits vertical et permettant d’opérer sur de grandes distances (1 à 3 km).
Aux profondeurs obtenues (4000 m), comme la perméabilité du schiste est très faible et ne peut permettre l’extraction du gaz inclus, il est obligatoire de fracturer la roche par des techniques chimiques très puissantes (eau, fluides spéciaux, sous pression). La fracturation dite hydraulique se fait par injection d’eau (2000 à 20.000 m3 par cycle de fracturation) sous forte pression (plus de 76MPa) avec du sable fin et des produits chimiques qui empêchent les fractures de se refermer.
schéma 1

Forage

Les fluides de fracturation
Les fluides de fracturation (fracturing fluid) sont donc des fluides injectés sous fortes pressions dans une formation géologique afin de broyer des roches dures et peu perméables, dans le but de libérer les hydrocarbures (gaz, huile) qu’elles emprisonnent. Ces fluides dont, jusqu’à une date récente, la composition était tenue secrète par les exploitants, transportent les composés chimiques, qui vont aider à désorber de la roche le gaz à extraire.

Les additifs chimiques
Devant l’inquiétude croissante des populations environnantes, l’Agence de Protection environnementale américaine (US –EPA) a demandé en mars 2010 à neuf compagnies, qui aux Etats-Unis, exploitent les huiles et gaz de schiste, de lui fournir la liste des produits chimiques, utilisés dans leurs différents procédés
Un pré rapport (1), de février 2011, concernant l’impact des fluides de fracturation sur les ressources en eau, fournit des informations intéressantes, quant aux produits chimiques caractérisés dans les eaux de rejets d’extraction.
Nous disposons donc maintenant d’informations sur les produits chimiques utilisés en entrée mais aussi sur un certain nombre de produits figurant en sortie.
Tout semble se passer comme si la zone de fracturation, qui se situe à de grandes profondeurs (1000 à 3000 m voire plus), soumise à de fortes pressions et à des températures assez élevées, se comportait comme un réacteur chimique dans lequel plusieurs centaines de produits, dont certains sont de puissants catalyseurs (sels métalliques…), interagissaient et formaient en final de nouveaux composés, résultats d’une ou de plusieurs réactions chimiques.
Indépendamment du fait qu’un certain nombres d’additifs sont des produits très toxiques et CMR(Cancérogène, Mutagène, Reprotoxique), on trouve également en sortie des produits de même type mais différents. On voit donc apparaître un certain manque de maîtrise sur ce qui se passe dans la zone de fracturation.

Les expositions
En ce qui concerne les effets des composés chimiques, produits au cours des différents process durant l’extraction du gaz ou des huiles à partir des schistes ou roche-mère, il est nécessaire de distinguer plusieurs étapes de l’exposition :
1) Durant l’étape initiale, il faut prendre en compte la manipulation de tous les produits de départ que l’on mélange pour obtenir le produit final qui sera injecté. Durant ces manipulations, la voie prioritaire d’exposition sera l’inhalation des produits, dont la volatilité sera très variable…
Par ailleurs, on observe dans les zones d’extraction du gaz de schiste ou roche- mère, une augmentation non négligeable des particules, en particulier les plus fines dont beaucoup nanométriques. Ces dernières proviennent préférentiellement de la combustion de diesel, le carburant privilégié des engins de transport, extrêmement nombreux sur les sites d’extraction (camions citerne de transport d’eau, de gaz…).
Il faut se rappeler que les principaux accidents susceptibles de menacer la santé des travailleurs, mais aussi des populations environnantes, sont les explosions du reste souvent liés à des fuites et à des ruptures de pipelines ou à des déversements accidentels, voire criminels, de substances dangereuses.

On trouve donc un risque toxicologique à la fois pour les travailleurs et la population locale mais également un risque physique lié à l’incendie et à l’explosion essentiellement pour les travailleurs

2) L’extraction proprement dite du gaz va débuter par un forage vertical au cours duquel de l’eau en mélange avec du sable et divers autres additifs chimiques, est injectée à partir de la tête de trépan. Ce mélange revient en surface sous forme de boues (100 à 125 m3 par puits), ces dernières feront l’objet de stockage dans des centres spécialisés ou d’enfouissement.
Dans une seconde étape, la fracturation hydraulique proprement dite va nécessiter l’utilisation de quantités très importantes d’eau, de l’ordre de 2 millions de litres d’eau par étape de fracturation.
Comme un puits vertical permet d’effectuer 6 à 10 étapes de fracturation horizontale, le volume d’eau nécessaire à toutes les étapes d’exploitation peut être estimé à prés de 12 à 20 millions de litres d’eau par puits ( données de l’Institut National de Santé Publique du Québec, Novembre 2010).

Aux Etats-Unis, en Pennsylvanie, où l’on compte 71 000 forages soit un puits actif pour 1,6 km2, l’utilisation sur place de l’eau souterraine en 2008, a entraîné l’assèchement de plusieurs nappes /phréatiques !

Autre risque lié à l’explosion
Le 5 mai 2004, en Pennsylvanie, une explosion est survenue dans une habitation, dans laquelle le propriétaire, en ouvrant un robinet d’eau en présence d’une flamme, a entraîné la destruction de sa maison et le décès des trois résidents.
Il est stupéfiant d’apprendre que la concentration du méthane dans l’eau de consommation est parfois de l’ordre de 1mg /litre, ce qui constitue un facteur de risques d’explosion et d’incendie très important, ce qui a obligé à mettre en place localement des mesures de prévention (dégazage de l’eau, distribution d’eaux embouteillées…).
Une étude récente de Robert JACKSON et coll (8) a mis en évidence qu’en Pennsylvanie, dans la zone d’activité des forages, la concentration en méthane de l’eau de sortie de fracturation se situe en moyenne entre 10 et 28 mg/L-1. Une concentration maximale de 66 mg/L-1 a été observée, ce qui correspond à une atmosphère explosive très importante.

Risque radio actif
Des enquêtes entreprises aux Etats-Unis, ont mis en évidence que les eaux usées, ainsi que les débris ou déchets de forage, peuvent présenter une radioactivité non négligeable. Selon l’EPA, en Pennsylvanie, des eaux usées ont présenté un taux de radioactivité 100 à 300 fois supérieur aux normes appliquées aux Etats-Unis. Parmi les radioéléments caractérisés se trouvent surtout du radium 226 (1600 ans de demie- vie), mais aussi du radon 222, du thorium 232 et de l’uranium 238. Ces éléments radioactifs, en particulier le radon 222, le radium 226 et le thorium 232 sont de redoutables cancérogènes pulmonaires chez l’Homme (groupe 1 du CIRC), ces derniers ayant été détectés dans l’eau potable, distribuée aux populations locales (NYSDEC.2009).

On retrouve donc les risques d’intoxication et d’explosion mais ce dernier pouvant affecter les populations environnantes et également un risque lié à la radio activité.

Le cas de l’Europe
La Pologne, qui disposerait des plus grandes réserves d’Europe (5300 milliards de m3 selon l’Agence américaine d’information énergétique, l’EIA) rêve de se libérer de sa tutelle énergétique envers son fournisseur russe. En ce qui concerne la France (dont les richesses viendraient juste après celles de la Pologne), ses réserves en hydrocarbures non conventionnels, sont estimées à 100 millions de mètres cubes, techniquement exploitables dans le Bassin parisien (surtout sous forme d’huile de schiste). Selon le rapport du 8 juin 2011(2) du CGIET(3) et du CGEDD(4), les ressources exploitables dans le sud-ouest seraient de l’ordre de 500 milliards de m3, mais ces chiffres ne correspondent qu’à une simple suspicion sur l’existence de telles réserves et ceci en l’absence de toute évaluation fiable. D’autres pays européens en sont actuellement au stade de l’exploration, comme la Grande-Bretagne sur le site de Blackpool, l’Allemagne en Basse-Saxe, mais aussi la Suisse.

Position de l’US EPA
Pour l’EPA, qui investit plusieurs millions de dollars pour évaluer avec précision les impacts environnementaux et sanitaires liés à l’exploitation des gaz de schiste, il semble parfaitement acquis que les dangers écologiques, sont bien plus considérables que les retombées économiques, semble t’il très rentables pour les pétroliers et accessoirement pour les populations locales.

Aux États-Unis, l’exemple de la Pennsylvanie est particulièrement éloquent. Si 71.000 puits sont exploités actuellement (il y en avait 36.000 en 2000), des régions entières de cet état très verdoyantes sont maintenant quasi désertiques, les nappes phréatiques étant asséchées et le sous-sol totalement pollué, avec en plus une eau de surface partiellement radioactive.

Pour aller plus loin
Vous pouvez télécharger l’intégralité du dossier Bilan Toxicologique & Chimique relatif au gaz de schiste sur le site de l’ATC : http://atctoxicologie.free.fr/
Vous pouvez aussi nous le demander via notre formulaire de contact : http://www.bertrandmerlin.com/index.php/contact/
Nous vous le fournirons gratuitement
Vous pouvez consultez le site de l’US EPA en suivant le lien : http://www.epa.gov

Date document : 06/10/2012


(1) EPA/600/D-II/001/February2011/www.epa.gov/research
(2) Rapport n°3517 de l’Assemblée nationale sur la Mission d’information sur le gaz de schiste 8 juin 2011.
(3) CGIET : Conseil Général de l’Industrie et des Technologies
(4) CGEDD : Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable